Depuis dix jours, je vie dans un monde de fastes, de gloire et de classe internationale, dont je vais enfin vous parler ici.
A mon arrivée à Kagoshima, j’avais le nom de deux professeurs de judo dans une université de sport, donnés par un médecin japonais et un prof de judo français étudiant l’enseignement du judo aux enfants. Ma première journée à Kagoshima, je décidais donc d’aller voir cette université, qui d’après le site internet demandait pratiquement deux heures de trajet depuis mon hôtel car elle se trouve de l’autre côté de la baie. En réalité, il fallait trois bonnes heures, avec les attentes de bus. Une fois arrivé, j’ai trouvé le dojo, qui était désert et je suis allé me renseigner au service des étudiants où l’on m’a dit que le professeur que je cherchais était celui qui m’avait été évoqué par le français (le nom que j’avais du médecin était peut-être celui du prédécesseur, je n’ai jamais vraiment cherché à savoir). On m’a aussi dit que le prof en question était bien dans les locaux, mais pas à son bureau, donc injoignable et que je pouvais repasser le lendemain matin… Pour rentabiliser un peu mes 6h de trajet, j’en ai profité pour m’arrêter dans un onsen du coin, ça serait dommage de se laisser dépérir…
Le lendemain, de bonne heure, j’ai refait mes trois heures de trajet (que j’ai fait en seulement 2h30, par une bonne combinaison de bus), pour essayer de rencontrer mon fameux professeur. Quand je suis arrivé, je me suis à nouveau présenté au service des étudiants, où la même dame que la veille m’a dit qu’elle n’arrivait encore pas à le joindre et que je pouvais laisser un courrier qu’elle déposerait directement sur son bureau. En japonais s’il vous plaît, ce qui m’est techniquement à peu près impossible. Voyant la tête que je faisais, elle m’a demandé d’expliquer ce que je voulais dire et je lui ai parlé de mon projet. Elle a alors pris la pose japonaise « komattana… » (c’est embêtant…), qui consiste à faire huuummmmm en se tenant le menton et en espérant très fort que la réponse tombe du ciel ou que le grand gaijin en face arrête de faire des yeux de chien battu. Comme la deuxième solution était peu probable (je suis triple champion du monde de culpabilisation de japonais, c’est comme ça que je suis arrivé là où je suis aujourd’hui), c’est la première qui a eu lui. Un membre du club de judo a débarqué pour faire signer une feuille, sur le chemin pour son entraînement !
Il m’a donc conduit à Hamada sensei (retenez ce nom, il va revenir), qui m’a regardé arriver avec les sourcils froncés et à qui j’ai donné le nom de mon contact et re-raconté ma vie alors qu’il me regardait avec beaucoup de suspicion. Alors que j’étais en train de m’enfoncer profondément dans le bourbier de la barrière des langues, il m’a demandé de répéter le nom du contact (il se nomme Thierry, ce qui est imprononçable pour un japonais) et au bout de trois tentatives de plus en plus louches, il a compris, son visage c’est brusquement éclairé et on était les meilleurs amis du monde. Dix secondes plus tard, j’étais présenté au club et je commençais les photos. 3h plus tard (j’étais arrivé trente minutes après le début du cours. Pour vous faire une idée, je me sens physiquement plus proche de courir le marathon que de faire un entraînement de judo de 3h30), le cours finissait et Hamada sensei m’emmenait manger des sobas (il a payé la note, évidemment), après m’avoir offert une serviette du club et avant de m’offrir une boite de bonbons parce que c’est la spécialité de la région. Je retournais ensuite à mon hôtel avec un rendez-vous le lendemain dans le dojo de la police de Kagoshima, pour un entraînement de masse.
Le lendemain, arrivé au dojo de la police, Hamada sensei m’a présenté à tous les enseignants présents et j’ai pu photographier pendant à nouveau plus de trois heures plus d’une centaine de champions en train de s’entraîner. A la fin du cours, après s’être excusé de ne pas pouvoir rester plus, car ils devaient repartir à leur université, il me proposa d’assister le lendemain à une petite compétition féminine locale ! Trois entraînements différents en trois jours, proposés par le même sensei !
Pour la compétition, rebelote, Hamada sensei m’a présenté à tous les organisateurs de la compétition, ce qui m’a donné une vraie légitimité pour aller où bon me semblait. Je reparlerai de cette compétition dans un autre billet, il y a des choses à dire dessus… Après la compétition, j’ai donné à Hamada sensei les photos du premier entraînement, que j’avais enfin pu développer et je lui ai dit que j’aimerais aller à Hiroshima pour la suite. A quoi il m’a dit que je pouvais aller chez son propre sensei, sur l’île d’en face !
Je passe sur un nouveau passage à l’université pour dire au revoir et donner les dernières photos et on passe aux choses sérieuses.
Hamada sensei est huitième dan. C’est un grade que l’on atteint généralement à un age très avancé, pour les très rares qui l’atteignent. Physiquement, il paraît extrêmement jeune pour cela, mais je me demandais un peu à quoi pouvait ressembler son sensei. D’autant plus que celui ci avait un nom qui doit vous évoquer quelque chose, si vous suivez un peu : Muneta sensei !
Et bien après vérification, c’est bien le papa du champion !
Muneta sensei avait été prévenu de ma venue et j’avais son numéro de téléphone. Après avoir vainement tenté de l’appeler pendant ma première journée à Hiroshima, il m’a rappelé dans la soirée et m’a dit que je ne pouvais pas faire l’aller-retour à Matsuyama, où est son dojo, sur la journée et qu’il me réservait un hôtel sur place et m’a donné rendez-vous deux jours plus tard.
Deux jours plus tard, Frédéric Tingaud a été pris en charge par un des professeurs les plus connus du Japon, père de l’icône nationale. J’ai visité avec sa femme et lui le château de Matsuyama et il m’a proposé de m’entrainer un peu, en plus de faire des photos, ce que j’ai accepté, parce que ça faisait dix jours que je n’avais pas mis un kimono et parce que c’est quand même juste d’une classe incroyable de s’entrainer au Munetadojo. Par contre, un peu effrayé par les cours de 3h30 que j’avais vu à Kagoshima, j’ai bien insisté sur mon faible niveau et le fait que je n’étais que premier dan. En fait, il y avait 2*2h de cours, d’abord les enfants où j’ai revu de tous petits bouts de choux en train de s’entrainer avec sérieux, puis le cours adulte où je n’ai presque pas pris de photos, occupé à faire du judo que j’étais. Et Muneta sensei m’a dit que j’étais fort ! Je vous avais prévenu que l’on était dans la classe internationale ! Petite anecdote, pour remettre les choses en perspective, j’ai travaillé avec un grand gamin dégingandé, profile type de l’ado, tout mou et boutonneux. On a commencé le randori normalement, en bougeant un peu pour jauger l’autre, avant de passer aux choses sérieuses. Et puis d’un coup, j’ai eu le souffle coupé et j’étais par terre. J’ai vérifié, je suis le seul à être tombé, donc il n’a pas pu simplement renverser le dojo autour de moi… J’ai travaillé avec des gens de très haut niveau, mais même avec eux, il y a toujours ce bref instant où dans ma tête passe un « Et merde… » (en fait, j’ai déjà eu ça une fois, mais c’était il y a 15 ans avec Angelo Parisi, un ancien champion olympique, donc on va dire que ça ne compte pas). J’ai interrogé Muneta sensei, l’ado en question a 15 ans et il est champion régional. Dans 5 ou 6 ans, je pourrai me vanter de l’avoir rencontré avant qu’il devienne célèbre, celui là !
Fin de l’anecdote. Après le cours, Muneta sensei m’a emmené manger des sushis. Inutile de préciser qu’il a tout payé, les sensei sont imbattables pour ça, mais là où on tombe dans le faste, c’est que quand il m’a amené à l’hôtel, il a également payé la chambre et m’a laissé des billets pour le taxi le lendemain. J’ai essayé de refuser, mais j’ai abandonné quand il a commencé à prendre un ton agacé (les sensei sont très forts pour cabotiner, mais celui ci a mis des fessées à un champion de judo, donc je n’avais pas envie de l’agacer pour de vrai).
Rendez-vous le lendemain, pour assister à une compétition d’enfants ! J’ai fait des photos depuis le public pendant un certain temps et ensuite, quand j’ai croisé la femme de Muneta sensei, elle m’a donné un badge d’entraineur et j’ai pu continuer au milieu des combattants… A la fin de la compétition, ils m’ont ramené au ferry en m’achetant un bentô en route.
Je crois que la morale de l’histoire, c’est que les japonais sont accueillants.